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« J’ai encore perdu mon sac »

Antoine (le prénom a été changé) est un étudiant d’une vingtaine d’années. Il a oublié son sac à dos dans un bus. Cependant, cela n’est pas la première fois que cela lui arrive. La fois précédente, c’était au restaurant universitaire, et celle d’avant encore, c’était dans une salle de cours. Ces deux fois-là, il avait eu de la chance, il avait retrouvé ses affaires intactes. Et c’était il y a dix jours. Mais là, dans le bus, il était peu probable qu’il les retrouve. Il a dû déclarer la perte de ses papiers d’identité, de sa carte bancaire et de l’argent liquide présents dans son portefeuille.

« J’ai encore perdu mes affaires, se plaint Antoine

_ Vous n’étiez pas vraiment présent à ce que vous faisiez au moment où vous les avez perdus.

_ Je ne sais pas. Oui, peut-être, j’étais ailleurs.

_ Où exactement ?

_ Je ne comprends pas votre question.

_ Vous étiez en train d’imaginer quelque chose dans votre esprit ou de vous dire quelque chose. Où vous imaginiez vous ? Que faisiez-vous ? Notre esprit a le don de nous faire voyager aussi loin que nous le souhaitons. Pour vous donner un exemple, vous pouvez vous imaginer sauveur d’un attentat devant les yeux admiratifs des personnes présentes sur les lieux ou vous imaginer chanter devant une foule en délire, recevoir le trophée de major de votre promotion, etc. Donc, je répète ma question : A quoi pensiez-vous ?

_ J’ai honte de le dire.

_ Je ne suis pas là pour vous juger.

_ Je m’imaginais en train de dire à une personne qui m’avait bousculé dans le métro qu’elle aurait dû faire attention. Mais sur le moment je n’avais pas réagi.

_ C’était il y a combien de temps ?

_ Euh… A peu près un mois.

_ C’est très bien que vous ayez retrouvé la trace de ce qui se passait dans votre esprit au moment où vous avez perdu vos affaires dans le bus. Lorsque l’on s’évade (Paul Diel parle d’évasions imaginatives) hors de la réalité, on la quitte pour entrer dans des rêvasseries qui nous font momentanément perdre le fil de ce que l’on est en train de vivre réellement. Cela peut sembler agréable sur le moment, mais les conséquences peuvent être fâcheuses puisque qu’ayant du mal à quitter cet état de rêverie les yeux ouverts, vous concernant, vous oubliez momentanément que vous êtes assis dans le bus avec vos affaires et que vous devez sortir à la prochaine sortie avec votre sac. Cependant, vous auriez pu réfléchir au contenu de la prochaine évaluation que vous allez avoir et à la façon dont vous alliez planifier vos révisions, ce qui n’aurait, dans ce cas-là, pas été une évasion.

_ Mais quelle est la différence ?

_ Dans l’évasion imaginative, le Moi vaniteux ou si vous préférez l’Ego se met en scène : « j’aurais dû lui dire que…, je vais lui dire que…, ils vont tous voir…  » Dans l’imagination positive, il n’y a pas de mise en scène de l’Ego, il y a la personne authentique qui recherche une solution sans se demander si elle sera connue, si elle aura la reconnaissance du monde entier, si elle fait bien ou pas, bref sans quêter l’approbation de quiconque. Lorsque nous agissons de la sorte, nous sommes en phase avec nous-même. Le retour à la réalité, ce que vous étiez alors en train de faire, se fait sans heurt, vous n’êtes pas déçu. Au contraire, si vous étiez dans une imagination exaltée (synonyme de l’évasion imaginative), le retour à la réalité est pénible et vous en souffrez. Dans votre cas, vous étiez resté sur une rancœur un mois après l’événement. Vous avez ressassé cet événement. Votre erreur est de ne pas vous être avoué que vous n’êtes pas parfait et que, certes, vous auriez peut-être dû au moment où la personne vous a bousculé lui dire de faire attention, mais après tout, est-ce grave au point de vous en vouloir encore aujourd’hui ?

_ Oui, mais c’est bien ça mon problème, je n’ose pas dire les choses, souvent, je m’écrase.

_ Il y a plusieurs manières de dire les choses. Lorsqu’on est justement motivé, c’est-à-dire ni dans une intention vexatoire, ni dans le désir de montrer que l’on a raison et que l’on est le meilleur, on aura tendance à dire les choses naturellement, sans s’énerver tout en sachant que cela n’est pas parce que vous ne vous serez pas énervé que la personne en face de vous ne se vexera pas à son tour. Ceci dit, il y a beaucoup plus de chance pour que vous énervant, la personne en face réagisse elle-même en s’énervant. Notre fausse motivation entraîne l’autre à lui aussi se justifier de ses erreurs.

_ Que dois-je faire concrètement ?

_ Cesser de ruminer sur ce que vous auriez dû faire et que vous n’avez pas fait, ce que vous auriez pu faire et que vous n’avez pas fait, accordez-vous vos erreurs car nous en faisons absolument tous. Relativisez vos échecs, vos contrariétés, ne laissez pas votre Ego prendre le pas et dramatiser tout ce qui vous arrive. Et essayez de vous rendre compte des moments où votre esprit s’envole pour quitter la réalité et où l’Ego veut jouer un rôle. »