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L’avidité

La recherche de rentabilité à tout prix est un des maux répandus aujourd’hui. Il n’est que la conséquence du faux motif : « Je n’ai jamais assez. Il me faut plus.» Même si c’est pour faire travailler les autres plus et dans de plus mauvaises conditions. L’avidité généralisée conduit à une foire d’empoigne où l’on peut être prêt à tout pour écraser l’autre, pour prouver qu’on est le meilleur et où les faibles (les moins rentables) sont montrés du doigt, stigmatisés, harcelés. Le credo « On peut faire mieux avec moins » est plus que jamais d’actualité et tant pis pour ceux qui ne suivent pas, ceux-là ne méritent pas de travailler, voire d’exister. 

L’égo se nourrit de la comparaison avec les autres : « J’ai plus que… », « Je suis plus que… », « A sa place, moi, j’aurais fait … », « Mais moi, Madame, j’ai travaillé toute ma vie (sous-entendu pas comme tous ces fainéants de chômeurs, de personnes ayant perdu leur emploi…) », « J’ai fait une grande école, toi, tu n’as pas mon diplôme, en plus, j’ai eu une grande réussite dans mon domaine, ce qui n’est pas ton cas, tu m’es infiniment inférieure, alors évidemment tu m’envies » (propos d’un ex-collègue… thérapeute). Toutes ces phrases sont des manifestations de l’égo clamant sa supériorité sur les autres, tous les autres en général. Cette compétition est la règle aujourd’hui.

Lutter contre l’égo, c’est avant tout lutter contre son propre égo et ses manifestations. Refuser de voir sa propre avidité (autre mot pour l’égo ou la vanité. Derrière ce terme, il faut comprendre le désir de vouloir toujours plus ou celui d’être toujours plus) et ne voir que celle des autres est l’erreur numéro un de la personne qui s’arroge le droit d’aider les autres en s’excluant de la Vanité qui nous concerne tous. « Moi, je sais, j’ai un pouvoir que vous n’avez pas. », c’est la vanité du professionnel qui veut impressionner et faire croire qu’il est indispensable à votre salut(cf une société sans école d’Ivan Illich).

Aujourd’hui, nous vivons  dans une époque formidable où nous pouvons avoir accès à de grandes sources d’information (le système de réservation en ligne auprès de réseaux reliant une dizaine de bibliothèques de Paris ou du Val d’Oise donne notamment accès à des dizaines de milliers de livres !). J’ai, moi-même, il y a vingt-cinq ans, commencé à rechercher les solutions à mon profond mal-être dans les livres. Prendre conscience de la présence de l’égo en moi et de ses méfaits grâce aux livres de Paul Diel m’a littéralement sauvée la vie. Plus tard, les écrits du neuroscientifique Antonio Damasio m’ont permis de comprendre le lien indissoluble entre le corps et l’esprit.  Personne n’a le monopole du savoir, même s’il se targue de l’avoir. Un des héritages de l’humanité est cet accès à la connaissance que nous avons aujourd’hui. Un de ses autres présents est la capacité que l’être humain peut avoir de lire. La lecture n’est pas innée, elle est due à un apprentissage (cf Les neurones de la lecture de Stanislas Dehaene).

Aujourd’hui, le temps dévolu à la lecture diminue considérablement au profit de celui passé devant les écrans à chater sur whatsApp, à twitter, à poster ou liker sur Facebook, à faire du shopping sur vinted ou amazon ou à jouer en ligne ou à regarder des films sur Netflix. Or, il est impossible d’avoir une pensée cohérente et construite si on ne prend pas le temps tout court. Celui de se poser, de réfléchir, de lire… Notre esprit est aujourd’hui sans cesse diverti, invité à sauter d’une distraction à une autre, d’un achat à un autre. Remettre de l’ordre dans son esprit, c’est déjà voir entrevoir le bazar qui y règne : mon esprit va dans tous les sens. Le nettoyer de tous les désirs superflus (Ai-je vraiment besoin de posséder ce nouvel objet ? Ne suis-je pas en train de crâner parce que j’ai telle connaissance ou tel diplôme ou telle reconnaissance ? Ne suis-je pas en train de rêver ma vie plutôt que de la vivre en passant ma vie sur Netflix? Au fond, qu’est-ce que j’ai envie de fuir, de quoi ai-je peur ?…) Vivre en se sentant léger, c’est se libérer (relativement) de la lourdeur de la foule de ces désirs en vrac dans notre esprit qui accaparent nos forces et nous privent de notre présence au monde qui nous entoure.